dimanche 20 avril 2008

Vive Raguse !


J'ai découvert la ville sublime de Dubrovnik il y a quelques jours. La réputation de la perle de l’Adriatique n’est pas usurpée comme en témoigne la splendeur de l’ancienne Raguse et de son littoral. Le voyageur qui ancre à Dubrovnik est frappé par la sérénité de ses habitants, la douceur de son climat, et, malgré les outrages du temps et de l’histoire, par la richesse de son patrimoine. Les ragusains cultivent un art de vivre méditerranéen dont ils peuvent être fiers : tout est séduction et raffinement. Le port, les remparts, les orangers, les citronniers, les pins, les cyprès, les monastères, la lumière, la cuisine dalmate… Dubrovnik réunit toutes les conditions de l’accueillance.

lundi 7 avril 2008

Villes privées : la réalité dépasserait-elle déjà la fiction ?



Sans doute, si l'on en croit le réalisateur mexicain Rodrigo Pla (voir l’interview qu’il a donnée dans Le Monde du 25 mars 2008, « Cette fiction repose sur une réalité encore plus violente »). Son film, La Zona, propriété privée, est un saisissant polar politique qui a été salué à l’unanimité par la critique (et par une moisson de récompenses : Lion du futur à Venise, Prix de la critique internationale à Toronto). Zone résidentielle de standing, coupée du reste du monde par un mur de béton et protégée par un service de sécurité privé, la zona est une gated community comme il en existe des milliers en Amérique (du Nord ou du Sud). Derrière ce phénomène, s’entrechoquent de nombreuses problématiques* : l’entre-soi, le sentiment d’insécurité, le repli communautaire et identitaire, le ghetto des nantis… Cette enclave sert de cadre au film de Rodrigo Pla, qui prend soin de filmer les frontières et les contrastes socio-spatiaux avec l’extérieur. Le synopsis est simple : trois adolescents des quartiers pauvres pénètrent dans l'enceinte de La Zona, s'introduisent dans l'une des maisons, mais le cambriolage tourne mal. Plutôt que de prévenir les autorités, les résidents décident de se faire justice eux-mêmes. De la violence symbolique à la violence physique, il n’y a qu’un pas et la ligne jaune va être franchie par la communauté de la zona : mensonges, délation, harcèlement moral, abus de pouvoir, corruption, chasse à l’homme et assassinat collectif. L’enchainement de ces événements tragiques est inéluctable, le spectateur se sentant impuissant face à la montée irrésistible de l’horreur fasciste. Si le réalisateur se garde bien – et c’est heureux – de toute simplification manichéenne, il explique aussi que la fiction de La Zona repose sur une réalité encore plus violente que celle qu'il a mise en scène : « J'ai beaucoup d'amis qui ont été kidnappés (le temps d'extorquer une rançon). Ce sont des gens de la classe moyenne, les riches sont à l'abri, ils se déplacent en voiture avec des gardes du corps. Tout cela tient à l'absence de l'Etat et à ses conséquences : la corruption, l'impunité, la violence. » Quant à la bi-nationalité de la production (mexicano-espagnole) qui explique la présence de trois comédiens espagnols, Rodrigo Pla remarque à cet égard : « c'est aussi une réalité : au Mexique, les étrangers s'installent souvent dans des "zonas". En plus - c'est tellement horrible que j'ose à peine le dire -, dans certains secteurs de la société mexicaine, on préfère se marier avec des Européens "pour préserver la race" ». Il faudrait relire Gaston Bachelard : "l’habiter", n'est-il pas "le propre de l’homme?"…

Voir le dossier consacré au Film sur le site d’Allociné

dimanche 6 avril 2008

La tauromachie crée des valeurs universelles et du lien social














Le toro bravo est le seul animal au monde qui est élevé en liberté et qui meurt en combattant. Je devais avoir tout juste 7 ans lorsque j'ai assisté à ma première corrida. Je suis donc rentré en aficion il y a 20 ans! Natif de Nîmes (à 100 mètres de l'amphithéâtre romain), la tauromachie et les cultures taurines font partie de mon éducation, qu'il s'agisse de la corrida espagnole ou de la course camarguaise, pratiquée sur le territoire de la Bouvine. Assister à une corrida n'a jamais altéré l'épanouissement personnel des jeunes, comme certains détracteurs voudraient le faire croire. Au contraire, la tauromachie est une école de la vie, une liturgie authentique qui élève notre sensibilité et qui nous inculque des valeurs fondamentales : engagement, persévérance, solidarité, partage, courage, respect et humilité. C'est aussi un art majeur : "elle donne forme à une matière brute, la charge du taureau", pour reprendre l'expression du philosophe Francis Wolff. C'est enfin une composante de la civilisation méditerranéenne, identité à laquelle je suis profondément attaché.

Reste à défendre l'intégrité du toro bravo et l'éthique du combat, car, à vaincre sans respect, on triomphe sans gloire.


A ceux qui veulent découvrir la signification de la tauromachie, je ne peux que conseiller la lecture de Philosophie de la corrida, par Francis Wolff (Fayard, 2007)

Gouverner la ville mobile


Au début de l’année est paru un petit bouquin à lire d’urgence : "Gouverner la ville mobile", signé Philippe Estèbe aux Editions PUF. Cette publication est la synthèse d’un rapport de recherche remis en octobre 2005 au Ministère de l’urbanisme/PUCA avant qu’il ne se fonde dans le grand MEEDDAT (déjà ex-MEDAD). Ce rapport s’intitulait "La carte politique, instrument de la solidarité urbaine ? L’intercommunalité à l’épreuve de la polarisation sociale de l’urbain." Philippe Estèbe (Acadie) l’avait rédigé avec Magali Talandier, maître de conférences à l’Institut d’Urbanisme de Paris et chercheuse à L’oeil, la cellule de recherche animée par Laurent Davezies.


Dans la lignée de l’article qu’il avait publié en avril 2004 dans la revue Esprit sur le gouvernement des périphéries urbaines, Philippe Estèbe revisite le décalage entre les territoires fonctionnels et les territoires institutionnels à travers le prisme du déploiement de l’intercommunalité. Les faits sont connus : il existe une pluralité de communautés d’agglomération au sein de nos aires urbaines, un zonage statistique de référence qui obsède le bureau de la législation de la Direction de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (DGUHC), administration d’Etat plaidant pour une planification territoriale à large échelle. Ceux-là sont en effet tenants d’un régime urbain qualifié par Philippe Estèbe de "Gargantua", c’est-à-dire d’une intercommunalité urbaine optimale car dévorant sa périphérie et unifiant l’ensemble de nos bassins de vie. Ce premier régime permet ainsi de garantir la solidarité urbaine sur le territoire par le biais de la mutualisation de la fiscalité et des services urbains. Mais la réalité est tout autre, car si depuis les villes centre, les communautés ont bien réussi à "faire société", les périphéries urbaines sont en revanche regroupées de manière autonome dans des communautés de ressemblance, parfois égoïstes ou défensives. En d’autres termes : depuis les villes-centre (nos 100 préfectures), l’intercommunalité est "hétérogame" et répond bien aux canons des lois Chevènement et SRU (nombre de logements sociaux en nombre suffisant) en agrégeant des populations et des activités diverses sur des périmètres de solidarité, ce qui n’est pas le cas dans les communautés d’agglomération ou de communes périphériques, dites "homogames". Cela s’explique tout simplement par les dynamiques de spécialisation fonctionnelle des territoires (habitat, activité). Ces communautés résidentielles ne seraient ainsi que l’expression politique d’une aspiration au périurbain. Il s’agit de la "France des pavillons", ces "nouvelles classes moyennes" (les "pavillonnaires" étudiés par Marie-Christine Jaillet) qui sont partis des quartiers d’habitat social et qui ont fui la "mixité sociale" et l’insécurité. Cet entre-soi est qualifié par l’auteur "d’effet de Club". La mobilité des périurbains leur permet de profiter des services de l’intercommunalité centrale, sans en supporter les charges ou les inconvénients associés (densité, logement social). Le chercheur établit ainsi le lien entre le "panier de services" offert par une communauté et le régime matrimonial de l’intercommunalité urbaine (comment les communes se marient). Les clubs auraient donc fait sécession... un résultat qui va manifestement à l’encontre des objectifs du "contrat social républicain" cher à Jean-Pierre Chevènement, père de la loi du 12 juillet 1999.

Cette vision, quoique schématique, est très bien étayée par les analyses statistiques relatives à la sociologie du déploiement communautaire. Sans tomber dans un manichéisme qui incriminerait les résidents des clubs, Philippe Estèbe propose une grille de lecture stimulante pour les urbanistes de l’action publique que nous sommes. Une contribution à remettre en perspective avec les deux derniers colloques d’Urba+ sur les "denses cités" et sur "l’urbanisme à l’heure intercommunale".