Le constat est édifiant, accablant… Il faut lire les 21 pages de ce cinglant réquisitoire intitulé : « le Grand port maritime de Marseille : blocage social et déclin ». Il est extrait du rapport public annuel 2011 de la Cour des comptes :
« Bien que la réforme portuaire de 2008 apparaisse, pour le port de Marseille, comme la réforme de la « dernière chance », le volontarisme du directoire de l'établissement public ne suffit toujours pas à rompre avec la spirale du déclin », observe le Cour des Comptes dans son rapport public annuel.
« Premier port français, premier port méditerranéen et troisième port mondial pour le pétrole : ces classements paraissent flatteurs. Pourtant, le port de Marseille fait face à de difficultés graves et récurrentes. Si ses résultats financiers, assurés par le trafic des hydrocarbures, demeurent convenables, il ne cesse, dans un contexte de plus en plus concurrentiel, de perdre des parts de marché dans presque tous les secteurs d’activité.
Les conflits sociaux, qui minent le port, dégradent sa fiabilité, indicateur essentiel pour les armateurs. La réforme de 1992 du secteur de la manutention n’y a été que très partiellement appliquée. La gestion des ressources humaines y est, dans un contexte social tendu, largement défaillante, avec un accroissement des dépenses de personnel, des conflits sociaux émaillés de violence, un niveau élevé d’absentéisme »
Au-delà du coût préjudiciable des conflits sociaux, c’est aussi l’absence de vision stratégique des pouvoirs publics (en l’occurrence de l’Etat) qui est épinglée par les magistrats de la rue Cambon :
« La politique d’investissements, longtemps léthargique, n’a repris du dynamisme qu’à la fin du siècle passé, avec le souci de rattraper le retard accumulé et de développer le port, notamment pour le trafic des conteneurs. Le projet stratégique de 2009 confirme cette approche volontariste.
Par ailleurs, le GPMM n’est pas suffisamment intégré avec son arrière-pays, et ce dernier manque lui-même, au plan économique, de la vitalité nécessaire. Or, l’une des grandes forces des principaux concurrents de Marseille, en particulier des ports nord-européens, de Barcelone ou encore de Gênes, est de disposer de connexions étroites et multiples (commerciales, ferroviaires, routières, fluviales, etc.) avec un arrière-pays économiquement puissant et dynamique. Pour les grands ports européens, la bataille économique se livre désormais entre des « systèmes intégrés » et elle se gagne autant à terre que sur mer.
Par delà ces handicaps, celui de l’insuffisante fiabilité du port, au regard des armateurs, apparaît déterminant. »
Les recommandations de la Cour :
« Les avantages comparatifs du Grand Port maritime de Marseille sont indéniables. Pour autant, excepté dans le secteur de la croisière, il ne cesse de perdre des parts de marché face à ses concurrents.
L’un des facteurs essentiels, sinon le principal, de ce déclin tient à la fiabilité insuffisante du port, due à un climat social dégradé, avec une alternance de périodes de calme et de crises, souvent violentes, dans un contexte où un syndicat domine tous les autres.
Même dans les moments où le port est actif, les « fondamentaux » issus de précédents accords, explicites ou tacites, ne sont jamais réexaminés, ce qui freine le mouvement de réforme et d’adaptation à la concurrence.
Portée par la direction du port et encouragée, voire stimulée, en temps normal, par les tutelles ministérielles, la volonté de réforme se délite trop souvent, notamment faute d’une détermination suffisante des autorités de l’Etat face à la crise sociale et l’extrême tension qui l’accompagne.
Il manque au port de Marseille que s’y applique l’état de droit normal, où chacun tient son rôle dans le dialogue économique et social, mais où les limites du débat démocratique ne sont pas franchies.
Il appartient à chaque acteur de l’appliquer ou de le faire appliquer, en veillant au respect de la loi et à la mise en œuvre des sanctions nécessaires, en particulier lorsque des actes de violence sont commis.
La Cour réitère ses principales recommandations antérieures aux autorités du Port :
- établir des indicateurs de la fiabilité, et organiser le débat autour d’eux, en y associant les divers acteurs, internes et externes, du Port ;
- conduire à bien, sur les terminaux concernés, les transferts, prévus par la réforme portuaire, des outillages et de ceux qui les servent ;
- encourager, dans le cadre de cette réforme, l’effort des opérateurs de terminaux pour conduire l’adaptation de la manutention aux standards internationaux ;
- mieux maîtriser la gestion des ressources humaines, en mettant notamment en œuvre les recommandations de la Cour accompagnant les analyses présentées ci-dessus ;
- engager le Port dans une véritable démarche de performance, par des plans évolutifs, adaptés régulièrement.
La Cour insiste, auprès des dirigeants du GPMM, mais aussi des tutelles ministérielles et des représentants locaux de l’Etat, pour qu’ils sanctionnent, ou fassent sanctionner, les dérives accompagnées de violences, notamment en portant plainte systématiquement. De façon générale, l’autorité de l’Etat doit s’exercer pleinement et avec constance, à tous les niveaux, notamment pour que les réformes voulues par le législateur soient effectivement mises en œuvre, au GPPM comme ailleurs.
> Lire le rapport, "Le Grand port maritime de Marseille : blocage social et déclin"