lundi 29 décembre 2008

Un artisan du développement local nous a quittés.


C’est avec une grande tristesse que j’ai appris il y a quelques jours la disparition de Patrick Badouel, militant de longue date du développement local. Ancien directeur adjoint du CRIDEL aux côtés de Didier Minot et de Gwenaël Doré, fondateur et animateur national, pendant de nombreuses années, des Clubs Partenaires pour Agir au sein d’ETD, Patrick est décédé le 22 décembre dernier à Rennes.

Depuis 2005, il apportait son énergie, ses compétences et sa connaissance des acteurs du développement territorial au service de l’Institut National du Développement Local (INDL), alors en cours de création. Responsable de la fonction « partenariats et animation de réseaux » de l’INDL, il avait axé ses récents travaux sur la notion de « territoires innovants ».

Au-delà de son apport professionnel éminent, qui pour beaucoup était inestimable, ce sont ses profondes qualités humaines que je tiens à saluer : subtil, doté d’un grand sens de l’humour et surtout d’une grande gentillesse.

Patrick m’avait chaleureusement accueilli dans son équipe de septembre 2002 à juin 2003 lors de ma première expérience professionnelle, à ETD, association nationale pour le développement des territoires mandatée par la DATAR et la Caisse des Dépôts. Alors stagiaire dans le cadre de ma 3e année de Sciences Po, j’avais pu bénéficier de ses conseils et de son appui. A l’époque, nous étions chargés de l’animation de la vie associative d’ETD à travers la coordination des Clubs Partenaires pour agir. Ma mission consistait à favoriser la capitalisation des expériences étudiées dans leurs séminaires et leurs travaux. Ces clubs interrégionaux, créés en 1998, ont pour vocation de faciliter l'échange et le transfert de savoir-faire entre acteurs du développement local. Profondément marqué par cette expérience, qui intervenait dans un contexte très particulier (début d’une nouvelle législature, réorientation des missions de la DATAR et de son réseau), j’en avais tiré une réflexion personnelle sur la « mutualisation des pratiques de développement local », titre de ma Maîtrise de géographie soutenue en 2003 sous la direction de François Taulelle à l’Université de Toulouse-Le Mirail. Patrick m’avait fait l’honneur d’être membre du jury pour cette occasion.

Tout ce que je sais d’une démarche d’animation-réseau, c’est lui qui me l’a appris. J’ai donc été profondément influencé par cette « école Badouel » (ou par « la marque CRIDEL » pourrait-on dire. Je reviendrai, ultérieurement, sur ce qu’était le Centre de Rencontres et d’initiatives pour le développement local.) Ses multiples témoignages sur le mouvement du développement local, sa connaissance très fine des acteurs de terrain, mais également sa vision de l’engagement politique ont constitué des apports déterminants pour ma formation. Je perds ainsi un mentor.

Depuis son « implantation » à l’INDL (à Agen), je n’avais eu que trop peu d’occasions d’échanger avec lui, à mon grand regret. Nous avions tout de même réussi à nous revoir tout récemment, le 29 septembre dernier, autour d’un bon repas qui fut encore l’occasion de débattre de l’actualité politique. Notre conversation à bâtons rompus n’avait pas laissé transparaître d’incertitudes pour l’avenir. Nous avions même lancé des pistes pour des projets futurs. Comme toujours, il était résolument tourné vers l’action.

samedi 20 décembre 2008

De l'explosion urbaine au bidonville global (ou la réalité d'une favela aux portes de Madrid)




Et si Mike Davis avait raison? Et si l'avènement du bidonville global n'était pas qu'un mauvais cauchemard, mais tout simplement la cruelle réalité? Un millard de personnes survivent dans les bidonvilles du monde, lieux de reproduction de la misère à laquelle les gouvernements n'apportent aucune réponse adaptée.


Pour Mike Davis, sociologue-urbaniste et chercheur transdisciplinaire, nous rentrons dans "Le pire des mondes possibles" en passant de "l'explosition urbaine au bidonville global". Bien loin des villes de lumière imaginées par les architectes-urbanistes "starisés", le monde urbain du XXIe siècle pourrait être dominé par ces "mégabidonvilles" tentaculaires, où domine le travail informel, "musée vivant de l'exploitation humaine", pour reprendre les termes du chercheur américain. La crise planétaire lui donnera-elle raison?


Car, la "favelisation", ce processus de formation et de propagation d'habitat spontané informel et précaire, ne concerne plus seulement les pays dits "du sud", mais aussi l'Europe, y compris ses aires métropolitaines les plus développées.
En Espagne, à moins de 13 km du centre de Madrid, se trouve Cañada Real Galiana : le plus grand bidonville d’Europe occidentale. Situé le long de l’autoroute M50 (à la sortie sud de la capitale), il concentre environ 40 000 personnes principalement d'origine marocaine, qui y vivent dans l'insalubrité.


En mai 2008, France 24 a réalisé un reportage saisissant sur Cañada Real Galiana, véritable ville dans la ville, bâtie sur des terrains illégaux. Des Espagnols, arrivés il y a près de 40 ans lors de l’ouverture du régime franquiste à l’économie de marché, y habitent aussi.

Ces derniers, originaires d'Andalousie et d'Estrémadure, occupent les quartiers les mieux lotis du bidonville, comme le secteur V, qui s'est considérablement étendu. Ici, malgré la chaussée cabossée et l'absence de services publics, les maisons sont tout de même en dur. Les habitants sont même considérés "comme des résidents des communes voisines et paient la taxe foncière", précise le reportage de France 24. "En octobre 2007, sans préavis, la ville de Madrid essayé de déloger plusieurs familles de ce secteur pour démolir une partie des habitations illégales. Les forces de l’ordre se sont heurtées aux habitants, déclenchant une véritable émeute qui a fait plusieurs blessés du côté des policiers. Les autorités ont alors suspendu les démolitions. Pourtant, fin avril, des bulldozers sont revenus détruire plusieurs maisons, une nouvelle fois sans préavis."

A l'inverse, le secteur de Galinero, le plus défavorisé, véritable favela et haut lieu du trafic de drogue, ne fait l'objet d'aucun plan d'évacuation. Les conditions sanitaires y sont déplorables. Malgré les patrouilles médicalisées de la Communauté de Madrid, l'accès aux soins reste extrêmement difficile : 2 à 3 km à pied le long de la route du deal pour joindre le bus, puis le métro, soit 1h30 au total pour rejoindre la première clinique.

"Au centre du bidonville, Valdemingomez est un quartier miné par la violence. Le trafic de drogue y est en pleine croissance depuis deux ans. Le parking de l’église ne désemplit pas de junkies amenés en "kundas", les taxis de la drogue. Héroïne, crack, cocaïne : les dealers au volant vont chercher leurs clients dans le centre de Madrid. Dans ce quartier, où les toxicomanes sont partout, le manque d'hygiène est total. Depuis que les différents points de vente de drogue du centre-ville sont surveillés par la police, et depuis qu'un net ralentissement économique touche l'Espagne, le bidonville madrilène est en constante extension. La Région de Madrid, comme les mairies concernées, paraissent dépassées par la situation. Les quelques ordres de démolitions prononcés ces dernières semaines semblent surtout avoir pour but de dissuader de nouveaux arrivants. En vain."


Voir le reportage de France 24 "Cañada Real Galiana, le bidonville de la honte", jeudi 15 mai 2008

mercredi 3 décembre 2008

Urbaniste : le métier existe, la profession reste à organiser

La Société Française des Urbanistes (SFU), en collaboration avec l’Université Paris Sorbonne – Paris IV et l’association Urba+ (réseau de l’Institut d’Urbanisme de Paris), réunira les 1ères Assises de l’insertion professionnelle des jeunes urbanistes le 11 décembre prochain à Paris (108, boulevard Malesherbes, 13h30-17h30).

Ces assises, placées sous le haut parrainage de Georges Molinié, Président de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, se dérouleront en présence de Bernard Saint-Girons, Délégué interministériel à l’orientation.
A cette occasion seront présentés les résultats d'une enquête sur l'insertion professionnelle de 228 diplômés issus des instituts d'urbanisme et formations supérieures en aménagement, conduite par la SFU et Urba+ dans le but d'établir, à l'échelle nationale, une veille stratégique sur les métiers et les qualifications de l'urbanisme. Cet état des lieux sera suivi d'un débat entre formateurs, urbanistes praticiens et étudiants. L'enquête, dont la valeur scientifique est toute relative, démontre un taux d'emploi dans le secteur de l'urbanisme proche des 85% pour un taux d'emploi global avoisinant les 90%. Le caractère professionnalisant des cursus est bien évidement déterminant dans cette réussite. Pour autant, ne nous y trompons pas : derrière ces chiffres, nous avons à faire à de fortes disparités de situations.
L'enjeu de ces assises est de donner un coup de projecteur à une profession comprenant plusieurs milliers de membres mais qui reste largement à organiser. Reconnue par les instances ministérielles de l'enseignement supérieur, la profession d'urbaniste ne dispose en revanche d'aucune visibilité dans les systèmes de nomenclatures du Ministère de l'Emploi. En effet, si les formations supérieures en aménagement et urbanisme ainsi que les instituts d'urbanisme "Article 33" sont bien rattachés au système universitaire et délivrent des diplômes d'Etat (Master, Doctorat), il n'existe par exemple à ce jour aucun code NAF (INSEE) réservé au métier d'urbaniste. Autrement dit, un diplômé en urbanisme à la recherche d'un emploi n'est pas véritablement en mesure d'être orienté dans ses démarches par le Service Public de l'Emploi, car ne rentrant pas dans les "cases". Certains de mes collègues en ont fait d'ailleurs l'expérience: l'ANPE ne leur a été d'aucune utilité dans leur recherche.
Et au niveau européen? Certes, le conseil européen des urbanistes a mis en place une grille des compétences, à l'instar du référentiel de l'Office Professionnel de Qualification des Urbanistes. Mais celle-ci reste très générale, indicative et n'a aucun fondement opérationnel. Nul ne sait vraiment si les instances européennes, qui sont positionnées sur les problématiques urbaines (voir la récente charte de Leipzig), vont s'emparer du sujet par le biais d'une directive bruxelloise.
Bien loin des revendications corporatistes, il s'agit en fait de débattre des modalités d'organisation d'une profession ouverte dont les ressortissants sont mobiles, très bien formés, exerçant leur métier dans une grande diversité de structures, souvent en bonne synergie avec le monde de la recherche et de l'enseignement supérieur.
En charge de l'insertion professionnelle au sein de la Société Française des Urbanistes, Dominique Musslin a le mérite de poser les termes du débat avec clarté : selon lui, il convient d'achever la structuration du métier d’urbaniste. "Celui-ci est exercé par des professionnels dont les statuts sont extrêmement diversifiés, et qui n’ont d’autre point commun que leur qualification. C’était un premier pas. Mais il faut maintenant reprendre la marche en avant et donner un statut au métier. Peut-on considérer comme normal qu’une profession forte de plusieurs milliers de membres n’ait:
· Aucun outil de veille stratégique sur le métier des jeunes et plus globalement de tous les urbanistes,
· Aucune convention collective spécifique,
· Aucun dispositif de formation permanente partagé.
Certes, une ou deux familles d’urbanistes ont pris ce chemin, les PACT ARIM, par exemple. Mais tous les autres, non.
Faut-il dès lors engager les uns et les autres sur des voies parallèles. Ne faut-il pas accélérer le mouvement ? Est-ce la crise qui va nous amener à entreprendre ce que nous rechignons à faire ? "