Dans "C'est arrivé près de chez vous", film au vitriol (devenu culte), Benoit Poelvoorde s'en prend ouvertement à la conception urbaine des grands ensembles. Dans cet extrait (un morceau de bravoure), un "lapsus" est lâché : "les urbanistes conçoivent..." Ou comment porter le chapeau pour de sinistres réalisations. Il ne sait visiblement pas que ces logements sont inspirés par Le Corbusier, architecte... On peut mesurer à quel point notre profession a été plombée pendant des années par la charte fonctionnaliste, idéologie appliquée à la lettre dans les années 50-60 par la technostructure d'Etat, celle des ingénieurs. On pourra également relever la très mauvaise perception de la densité, alors que ces quartiers sont bien moins denses que nos coeurs de villes (on réclame ici un "habitat de plain-pied").
Aujourd'hui le concept de densité "renaît de ses cendres dans toute sa splendeur, après des années d’ostracisme honteux", pour reprendre les mots de l'urbaniste Marc Wiel, à qui le réseau de l'Institut d'Urbanisme de Paris avait demandé en 2006 de "plancher" sur le sujet : "Rappelons nous les mouvements associatifs qui prirent corps dans les grands ensembles de la région parisienne puis de province dans les années 60 et surtout 70. Neuschwander prit la tête des associations en rébellion à Sarcelles (...) Le mot densité était honni, il résumait tout ce que les journalistes en quête de copie et les occupants qui se feraient ultérieurement construire un pavillon, reprochaient aux grands ensembles. Ces mouvements furent parfaitement capitalisés par le parti socialiste renaissant". La vague rose des élections municipales de 1977 coïncidait avec une utopie nouvelle, "celle d’un syndicalisme du cadre de vie, qui pour changer la vie devait changer la ville, et dont Hubert Dubedout (premier homme politique à initier ce qui devint la politique de la ville) fut le personnage le plus en vue".
A l'époque, la Société Française des Urbanistes (SFU) "ramait à contre courant" en organisant son congrès sur les vertus de la ville dense. 10 ans avant, au lendemain de 1968, elle avait appelé à un urbanisme plus participatif et décentralisé.
Dans son livre (magistral), "Pour planifier les villes autrement", Marc Wiel explique comment par la suite (durant toute la décennie 1980-90) la profession urbaniste a été largement discréditée (à tort), et comment l'émiettement de la planification locale, dans des sphères techniques municipalisées, sectorisées, autonomes et segmentées, n'a permis de bien positionner l'urbaniste au sein des collectivités locales. Il fallait faire de la "politique de la ville", du "développement local", puis du "marketing territorial"... La communauté professionnelle s'est donc fragmentée (et nous en payons aujourd'hui les conséquences). Avec le développement autoroutier, la vitesse effrénée des déplacements automobiles mais aussi nos taxes d'urbanisme qui pénalisent toujours la ville compacte, la France se dé-densifia, s'étala... Les périphéries urbaines de notre pays se couvraient alors de vastes zones d'activités commerciales et économiques (et de nappes de parking...), de banlieues pavillonnaires (un petit peu plus loin). Les urbanistes se concentraient alors sur la "vraie ville", la ville dense, nos centres-anciens patrimonialisés, "celle qui faisait l'objet de toute leur attention". Il fallu attendre la loi SRU en 2000 pour qu'une planification urbaine soit relancée, celle dont les élus locaux sont enfin responsables. La question est maintenant de savoir si ces élus s'entourent d'urbanistes...