dimanche 2 novembre 2008

Transport de marchandises, logistique : pourquoi une intervention des collectivités locales est légitime (2)

Je publie ici un texte de Réginald Babin, éminent expert des questions de transports et de logistique. Directeur technique du Groupement des Autorités Responsables de Transport (GART), il s'exprime ici à titre personnel. Nourrie de nos multiples échanges et réflexions communes, cette contribution constitue un argumentaire solide pour le fondement d'une intervention légitime des collectivités territoriales dans les domaines du transport de marchandises et de la logistique.


Le contexte :

Le secteur de la logistique génère un impact fort sur les mobilités, sur l’urbanisme, l’emploi et l’aménagement des territoires. Le(s) transport(s) de marchandises ont en effet en commun avec le(s) transport(s) de personnes l’usage des mêmes infrastructures en général et le développement économique des collectivités territoriales. Ces questions revêtent une acuité particulière non seulement pour les trafics locaux et domestiques, pour les transits intra-européens en expansion ; mais surtout pour les flux croissant d’une économie globalisée dont les principaux lieux de production sont situés hors de l’Europe, faisant jouer aux grands ports et à leur hinterland un rôle de plus en plus prépondérant. Les infrastructures terrestres en liaison avec ces ports, et leur exploitation optimisée, constituent autant d’enjeux majeurs pour les territoires dans le cadre du développement durable mais aussi des contraintes budgétaires de la collectivité. La consommation des populations majoritairement urbaines dépend de façon essentielle de ces logistiques aux flux mondialisés.




Institutionnellement, structurellement, réglementairement, les transports de marchandises routiers sont distingués des transports de personnes en France. Aussi bien en ce qui concerne les transports publics de voyageurs ou de marchandises que dans le domaine des transports privés ou pour compte propre. Dans les domaines ferroviaires, ou fluvial, ou encore aérien, la chose est plus complexe. Dans le domaine ferroviaire en particulier les deux activités n’étaient pas séparées jusqu’à une époque récente, du fait du caractère monopolistique de l’exploitant. A ce titre, compte tenu des évolutions en cours, la question du fret ferroviaire doit être traitée spécifiquement.
Globalement, le secteur des transports collectifs de personnes est un secteur très réglementé, dans lequel les activités occasionnelles répondant aux caractéristiques commerciales d’un marché libre occupent une place certes importante, mais relativement marginale. Les Autorités Organisatrices de Transport (AOT) et l’Etat interviennent majoritairement à différents titres dans l’organisation des services réguliers de transport public de personnes et des activités de taxiteur ou de grande et petite remise. Hormis les conditions d’accès à la profession et les réglementations applicables à la circulation des véhicules, fixées par l’Etat, dans le secteur des transports de marchandises il en va autrement : ce secteur économique, lui même essentiel à l’économie globale, est librement soumis aux conditions du marché et les autorités organisatrices n’interviennent pas. Ainsi, historiquement, du fait de leur environnement économique et institutionnel propre, les structures professionnelles correspondant aux transports de personnes et aux transports de marchandises sont restées cloisonnées dans leurs différents domaines et il n’y a aucune appréhension globale des problématiques communes de transport et de mobilité. Pourtant c’est bien l’optimisation des infrastructures de transport qui rend nécessaire cette appréhension, car les transports de personnes et de marchandises terrestres sont effectués majoritairement sur les mêmes infrastructures et en conditionnent donc les capacités, que ce soit en zone urbanisée ou sur les grands axes qui relient les centres urbains.
Cependant, il existe de nombreuses zones d’interférence entre les deux secteurs d’activités, qui justifient que les AOT se préoccupent davantage des paramètres qui président à l’organisation des transports de marchandises, et pas seulement en zone urbaine ; ce qui était surtout le cas jusqu’à présent. Même si « le transport de marchandises en ville » (telle que la problématique est abordée par les fonctionnaires du MEEDDAT et du CERTU) mérite une particulière attention (dans la mesure ou elle peut impacter la performance des TCSP ou des sites propres bus par exemple), il ne peut être déconnecté des plateformes de dégroupage et de logistique située en périphéries ou en zones rurales sur des axes importants, elles-mêmes reliées à des flux logistiques complexes dont les ports constituent des hubs aussi essentiels que peu nombreux. Cet aspect est notamment de la responsabilité directe des AOT urbaines dans le volet concerné des Plans de Déplacements Urbains (PDU).
Première zone d’interférence, les transports de marchandises, principalement routiers, participent intrinsèquement à l’activité économique des collectivités territoriales. Ils sont directement liés à l’implantation des entreprises, qui sont elles mêmes un facteur d’aménagement des territoires. Et cela même s’il faut faire le constat navrant que peu de contacts existent entre les services chargés du développement économique et ceux en charge des transports collectifs dans les collectivités*. Deuxième zone d’interférence, les entreprises, industries ou zones commerciales, en fonction de leur localisation constituent à leur tour des facteurs générateurs de flux importants : soit pour les emplois qu’elles suscitent (problématiques d’accès à ces emplois qui ne sont pas nécessairement desservis par des TC), soit pour les flux de consommateurs qu’elles attirent. Par ailleurs, leur implantation est souvent génératrice d’habitat suburbain.
Dans cet aménagement des territoires, la plupart du temps de nombreux acteurs locaux ou internationaux interviennent à différents niveaux sans aucune concertation d’ensemble. Les grandes zones commerciales qui supposent des organisations logistiques extrêmement complexes jouent un rôle particulièrement important dans l’étalement urbain, stigmatisé par ailleurs. Rappelons que les flux de marchandises s’inscrivent de plus en plus dans le cadre d’une logistique mondialisée, dans une relation étroite avec les grands ports européens (peu nombreux à être les principaux générateurs de trafic et dont l’hinterland est à considérer), générant des positionnements stratégiques d’entreprises de plus en plus en zone périurbaines, voire au carrefour des grands axes autoroutiers en pleine campagne. Il en va de l’attractivité et de la richesse des collectivités, du bien être des populations. Il convient néanmoins de ne pas négliger également l’impact des flux locaux (inférieurs à 250 km), organisés notamment autour des BTP ou de la production agricole, ou de transit. Il convient aussi de différencier les activités de transport public de celles qui relève du compte propre, bien que ces domaines soient de plus en plus imbriqués. Mais c’est sans doute le rôle considérable des plateformes de dégroupage qui permettent l’approvisionnement des agglomérations, avec l’opération terminale qui constitue « la livraison en ville » évoquée plus haut, qui constitue un des gisement de progrès majeurs. Ainsi, est-ce aux constructeurs de plateformes logistiques, appartenant à des groupes étrangers et constituant un investissement très rentable, de déterminer l’aménagement du territoire ? Aux conséquences desquelles les AOT et les collectivités devront trouver des solutions coûteuses pour améliorer progressivement la desserte.
Succinctement évoqué, ce schéma montre bien que l’efficacité des transports collectifs, le développement de leur usage, sont directement liés à l’implantation des zones d’activité industrielle et commerciale et à la maîtrise des flux; cette logistique, dont la finalité est essentiellement la consommation de biens ou de matériaux nécessaires aux BTP, est conditionnée par l’environnement économique global qui préside à l’acheminement des marchandises. Notamment le coût d’usage des infrastructures. Ainsi l’impact des formes modernes de consommations doit être considéré dans toutes ses conséquences sur les infrastructures et les territoires.
Dans ce contexte, on voit bien comment les AOT ont intérêt à intervenir dans le modèle logistique global qui prévaut aujourd’hui pour rationaliser l’usage des infrastructures et favoriser le recours aux transports collectifs, dans un cadre correspondant aux nouvelles logiques du développement durable. Plutôt que de devoir traiter à postériori et de manière toujours plus coûteuse les conséquences de situations non maîtrisées en amont, il conviendrait de s’attaquer aux causes et à la génération de flux dont quelques principes simples permettraient de limiter l’anarchie. Parmi ces pôles générateurs de trafic, les ports méritent une attention toute particulière. Les agglomérations, aujourd'hui engagées dans leur gestion sont donc amenées à devenir des acteurs incontournables de la gestion des flux de marchandises. Elles ont donc toute légitimité à intervenir sur l'organisation de la chaîne logistique, et notamment dans tous les modes de transport de marchandises qu’il est indispensable de combiner plus efficacement.
Il est clair que dans ce domaine, le fret ferroviaire pourrait jouer un rôle bien plus important que celui qu’il tient aujourd’hui. Cela à la demande même des chargeurs et opérateurs de logistiques, qui déplorent le manque d’offre adaptée, percevant les enjeux économiques globaux dont ils sont des acteurs essentiels (le domaine ferroviaire étant lui-même lié au développement des techniques de transport combiné, largement sous utilisées en France).
Ainsi, la question des transports de marchandises, pour les collectivités, ne peut être réduite à la seule question des livraisons en ville. Elle suppose que l’on s’intéresse aussi bien au développement de modes organisationnels plus rationnels et moins polluants (telle la logistique développée par Monoprix), au développement des Short Lines, aux potentialités des transports combinés sous utilisés, à la tarification d’usage des infrastructures, à l’harmonisation des règles européennes propres aux transports routiers, etc.


A ce titre, il est tout à fait nécessaire de créer des liens et d’établir la concertation entre les différents acteurs représentatifs du monde des transports de marchandises et de la logistique et les autorités locales en charge des politiques de déplacements.

Réginald Babin, 2008


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C'est en partant de ce constat que le GART a produit une réflexion sur les interfaces à établir entre les transports et l'aménagement économique :
CREPIN Olivier, DAGNOGO Claire, Urbanisme commercial et politiques de déplacements. Jalons pour un aménagement économique durable, Collection « Mobilité durable » du GART, février 2008.